Léopold CRAVATTE

 
 

Cravatte Léopold (Sippenaeken, 26 septembre 1909 - Liège, 26 avril 1980)

Cadet d'une famille de sept garçons (Il fut ainsi un des derniers filleuls du Roi Léopold II qui décéda en 1909), Léopold Cravatte épouse, comme cinq de ses frères, la carrière d'enseignant. Instituteur à Fouron-le-Comte, La Calamine, Gemmenich, Teuven, il entre en fonction à Rémersdael en 1933, y est nommé titulaire en 1935, Directeur en 1969 (par une décision du conseil communal de Rémersdael du 23 décembre 1969)   et y sera admis à la retraite en 1974. C'est comme enseignant dans cette commune qu'il va s'affirmer comme un des leaders de la résistance francophone dans les Fourons. Ses frères avaient montré l'exemple en d'autres circonstances par le passé. Deux de ceux-ci s'illustrèrent lors du premier conflit mondial; tous les six, en 1940, préférèrent quitter leur village et venir travailler dans des communes non-annexées à l'Allemagne, plutôt que de servir les nouveaux maîtres.

Instituteur à Rémersdael depuis 30 ans au moment du passage des communes fouronnaises à la province de Limbourg, Léopold Cravatte va se retrouver en première ligne de la résistance. En 1954, suite à la publication des résultats du recensement linguistique classant la commune de Rémersdael parmi les communes unilingues françaises, l'administration communale avait décidé de réorganiser l'enseignement primaire. Elle avait décidé la création d'un enseignement dit de transmutation, prévu comme transitoire et qui devait amener à l'enseignement de la langue française comme langue maternelle à partir de la première année. Durant les trois premières années d'étude, le flamand était enseigné comme langue maternelle, le français comme langue seconde; à partie de la quatrième, c'était l'inverse, le français était enseigné comme langue maternelle, le flamand comme seconde langue. En mai 1962, le Conseil communal décidait même de faire du français la langue d'enseignement à partir de l'année scolaire 1962-1963. Cette décision fut annulée par arrêté royal le 13 juillet 1962. Malgré cela, l'enquête organisée par le Conseil provincial de Liège en octobre 1962 confirme le succès de la solution mise en œuvre à Rémersdael et la qualité de l'enseignement puisque tous les chefs de ménage de la commune se disaient satisfaits de l'enseignement du français qui y était dispensé, tandis que 60 % des chefs de ménage de l'ensemble des autres communes de la région faisaient remarquer que "du fait du remplacement des anciens instituteurs par des nouveaux dont la plupart viennent du Limbourg, l'enseignement du français est mal donné sinon négligé". Dès avant 1963, l'action de Léopold Cravatte au sein de l'école communale de Rémersdael était reconnue.

L'adoption définitive, le 31 octobre 1962 du projet de loi Gilson puis son entrée en vigueur le 1er septembre 1963 qui modifiait les limites des provinces, faisant passer les communes fouronnaises de Liège au Limbourg, n'aurait pas dû avoir une trop grande incidence sur l'enseignement communal à Rémersdael. En effet, l'article 6 de la loi du 30 juillet 1963 sur l'emploi des langues en matière d'enseignement organisait un nouveau régime spécial de protection des minorités, notamment dans les communes "à facilités" de la frontière linguistique. Dans ces localités, un enseignement gardien et primaire pouvait être dispensé dans une autre langue nationale que celle de la région à condition d'être demandé par au moins seize chefs de famille domiciliés dans la commune à plus de 4 km d'une école organisant l'enseignement souhaité et pour autant que la langue extra-régionale concernée fut la langue maternelle ou usuelle des enfants bénéficiaires. Une enquête de l'inspection linguistique était donc requise. Sur cette base, deux communes des Fourons pouvaient organiser un enseignement gardien et primaire en français : les communes de Fouron-Saint-Martin et de Rémersdael. Le Conseil communal de Rémersdael décida donc à l'unanimité de créer deux classes françaises, une classe flamande et une classe gardienne française. Les trois classes françaises ainsi créées réunissaient 80 enfants, la classe flamande, 2 enfants, ceux de l'institutrice venant du Limbourg. Le Gouverneur du Limbourg fit annuler la décision prise par la commune. Un dépêche signée par un fonctionnaire du ministère ordonna même la fermeture des classes françaises qui purent finalement rester ouvertes. Ce n'est qu'en 1968, sous le gouvernement Eyskens - Merlot que l'école française allait être officiellement reconnue et subsidiée. Cette décision mettait fin à cinq années d'hésitation de la part du pouvoir central et d'obstruction du gouvernement provincial du Limbourg. Elle mettait fin aussi au conflit entre l'inspecteur linguistique francophone et l'inspecteur linguistique flamand qui avait successivement remis en cause le fait que le français constituait la langue maternelle des enfants, et la distance - qui devait être supérieure à 4 Km - séparant chaque habitation de l'école communale d'Aubel. La commune qui, dès 1963, avait demandé l'avis de la commission linguistique - non encore créée à l'époque - n'en continua pas moins de payer les avances de traitement des instituteurs avec l'aide, jusqu'à la reconnaissance officielle de l'école en 1968, du Fonds de soutien pour l'enseignement du français dans les Fourons créé par l'ASBL "Association régionale pour la défense des Libertés". Il en fut un des membres les plus actifs. Il s’intéressa aussi de très près à la création de l’Action fouronnaise et participa notamment au comité de rédaction du “ Foron ”.

Directeur de l'école communale, Léopold Cravatte joua donc un rôle déterminant dans ce combat primordial des fouronnais francophones pour la création et le maintien d'un enseignement en français dans leur commune. Cette détermination n'a pas manqué de marquer les deux générations de Rémersdaelois qu'il forma de 1933 à 1974 dans ses classes successives.

M. Cravatte à la fête organisée à l'occasion de sa mise à la retraite à la Salle Rimbiévaux (août 1974).

Son implication dans la vie de la commune ne se limitait pas à son rôle d'enseignant, il accomplit aussi une tâche importante comme animateur de la vie culturelle. Trésorier du syndicat d'initiative des Trois Frontières, Directeur de la chorale et trésorier de la Fabrique d'église, Fondateur, Directeur puis président de l'Harmonie locale, il présidait aussi aux destinées du club de football et à celles de la salle "Rimbiévaux" construite par l'a.s.b.l. l'Union Rémersdaeloise, fondée le 14 décembre 1973. C’est encore Léopold Cravatte qui fut à l’origine de la création des bibliothèques libres françaises des Fourons. Après un appel lancé dans la presse wallonne et bruxelloise, de nombreux colis sont arrivés à Rémersdael et c’est Léopold Cravatte qui passa des heures à trier, répertorier et répartir ces collections de livres.

Au travail à la bibliothèque de Rémersdael: Albert Rompen, Joseph Drooghaag, Jean-Louis Xhonneux et Léopold Cravatte.

C'est à Liège, lors d'un festival organisé dans le cadre du Millénaire de la Principauté de Liège qu'il fut victime d'un infarctus, à la tête de l'Harmonie Sainte-Geneviève de Rémersdael.