Réponse de Jules Halleux

 
 

Comment est ce possible que, ayant échappé à la capture et donc aux camps de prisonniers, l'on puisse, sans avoir d'ennuis, se remettre au service de l'Etat ?

Réponse de Jules Halleux sur base du livre "La Belgique Occupée de l'an 40 à la Libération" ;
Etienne Verhoeven ; De Boeck Université ,1994


C'est la volonté politique du gouvernement Belge de 1940 de ne pas reproduire le chaos de 1914, c'est à dire la « cruauté » de l'occupant vis-à-vis de la population et l'intérêt des allemands pour relancer l'économie. Sur la capitulation du 28 mai 1940 du roi, sans l'accord du gouvernement et le début de l'affaire Royale ... je passe.
Le 1er juin 1940 les allemands installent l'administration militaire en Belgique en essayant de tirer les ficelles du sommet sans trop se mouiller et espèrent ainsi faire tourner le pays à leur profit. S'il n'y a pas de gouvernement ,subsistent néanmoins au plus haut degré de l'Etat les Secrétaires Généraux et de plus l'arrêté loi du 10 mai 1940 permet a ces hauts fonctionnaires d'exercer pendant l'occupation en l'absence des ministres..
Mais jusqu'où vont leurs attributions ? Une convention est signée avec l'occupant le 10 juin. L'on peut interpréter cela comme un acte de collaboration mais il y a « à boire et à manger » comme on dit.

Les « Secrétaires généraux »
Pendant toute l'occupation il va y avoir 10 personnes qui vont diriger les département suivants : Intérieur et Santé Publique, Justice, Finances (O.Plisnier), Agriculture et Ravitaillement, Affaires économiques et Classes Moyennes, Travail et Prévoyance sociale, Enseignement, Travaux publics, Communications, Colonies.
A deux reprises l'on va modifier sa composition. En août 1940, à la demande des allemands, trois Secrétaires Généraux sont écartés, Mathieu a la Santé publique, R.Delhaye à l'Approvisionnement et Jean Snoy aux affaireséconomiques. Ils sont remplacés par le fait que l'Agriculture (Emile De Winter) reprend l'Approvisionnement, la Santé Publique passant à l'Intérieur (Vossen) et Victor Leemans remplace selon les désirs des allemands (il appartient au VNV) Snoy qui ne leur plait guère.
L'administration allemande va faire une 2ème modification beaucoup plus importante le 7 mars 1941. Pour ce faire l'on va introduire une mesure d'âge (< que 60 ans) apparemment de caractère purement administratif. Trois Secrétaires tombent à la trappe, A. Delmer, E. Castiau, E. De Jonghe, deux autres avaient déjà été révoqués quelques semaines plus tôt , Ernst de Brunswick et Vossen (car il s'oppose à la nomination d'Henri Elias comme bourgmestre VNV de Gand).
Ainsi le 1 avril 1941, cinq nouveaux font leur apparition. Dont Gérard Romsée (VNV) à l'Intérieur, Gaston Schuind (magistrat neutre, va démissionner en septembre 1943) à la Justice et est remplacé par Robert de Foy, Ch.Verwighen (Travail et Prévoyance) démissionne en mars 1942 d'un poste peu enviable ; 4 successeurs vont le suivre dont un, Olbrechts fait même de la prison.
C'est la nomination de Romsée à l'intérieur qui intéresse le plus les allemands ; même s'ils n'ont pas la justice, ils s'emparent de 2 domaines importants, les communes et le maintien de l'ordre.
En 1941, Romsée estime qu'il faut la collaboration des différents services de police belges avec l'organigramme allemand déjà mis en place. Le regroupement des communes en 7 grands centres (Grand Liège, Grand Charleroi, Grand Bruxelles, Grand Bruges, Grand Gand, Grand Anvers, Grand La Louvière) en est une mesure. Il a déjà révoqué les gouverneurs et bourgmestres qui ne plaisent guère aux allemands pour les remplacer par des collaborateurs (Rexistes, VNV) ou faisant fonction soumis a leurs ordres.
Avec l'arrivée de Romsée tout change et le 8 août 1941, l'on rapatrie 151 officiers flamands du camp de Lückenwalde. Une partie d'entre eux étaient favorables aux idées de l'Ordre Nouveau en Flandre. Parmi eux, se trouve le plus élevé en grade (pas le plus extrémiste), le lieutenant colonel Emiel Van Coppenole. Au contraire de la police, il va réussir partiellement avec la gendarmerie.
En 1940, le corps de gendarmerie compte 187 officiers et 8610 gendarmes. Il faut donc s'en servir pour renforcer les missions de police. Décembre 1941, Romsée publie 3 arrêtés au Moniteur sur la réorganisation de la gendarmerie. On y rajoute plus ou moins 100 officiers et 2000 hommes sélectionnés selon les critères allemands, autant que possible être flamand et pro allemand (VNV, Rex). Il y a donc des « nouveaux » gendarmes et des « anciens » et ils ne s'entendent pas. La gendarmerie est scindée en 2 régiments territoriaux selon l'appartenance linguistique. Le commandement de la partie Wallonne se trouve à Liège.
Les allemands se méfient des unités territoriales constituées pour une grande partie d' « anciens ». On inclut donc les « nouveaux » dans les unités mobiles. En février 1942, 62 des officiers rapatriés se retrouvent au ministère de l'intérieur, dont 41 à la gendarmerie et 20 à la PGR (Police Générale du Royaume). C'est Van Coppenole qui occupe le poste de directeur de la PGR et va former
avec Romsée le duo que les allemands attendent pour la réforme de la police tant désirée.
L'administration militaire allemande estime en 1943 qu'elle ne peut compter que sur 1/6 de l'effectif total de la gendarmerie.

Un mot encore sur l'administration militaire allemande. Elle est constituée au départ de 2 volets séparés : la Wehrmacht (OKW) et la SS (RSHA). En réalité, au fil du temps, c'est la SS (Himmler) qui va avoir tout en main. Le 1er juin 1940 au nom de la Militärverwaltung (M .V) le Baron Alexander von Falkenhausen = Militärbefehleshaber (MBH) et son adjoint le Militärverwaltungschef Reeder prennent le pouvoir en Belgique et le Nord de la France et ils y organisent la structure policière allemande. Ils dépendent (OKH) de la Werhmacht et donc peuvent se tenir à distance et ce jusqu'à quelques semaines de la Libération de l'administration civile (SS). On lui adjoint 2 Etats-majors, un verwaltungstab, pour les affaires administratives et économiques, et un Kommandostab, EM Militaire chargé de faire respecter l'autorité de l'occupant. Ce dernier est divisé par provinces en Oberfeldkommandatur (OFK ) ou en
Feldkommandantur (FK) (commandé par un général ou colonel) ; puis au niveau de 4 arrondissements groupés une Kreiskommandantur et dans 30 localités importantes (où il y a une garnison) en Ortskommandantur. Dans chaque Feldcommandatur il y a une antenne de l'Abwehrstelle (contre espionnage). La police militaire comprend la Geheime Feldpolizei (GFP), police secrète de campagne, dirigée par un directeur Sowa (s'occupe de la résistance et travaille avec l'Abwehr) et la Feldgendarmerie, prévôté traditionnelle de l'armée. C'est celle-ci répartie dans les kommandantur qui va demander la collaboration de la gendarmerie. Elle n'a qu'un effectif réduit de 1000 hommes parfois renforcés par
des gendarmes « nouveaux » ou des Gardes Wallonnes. A la GFP il faut s'ajouter le Sicherheitsdient (SD ou SIPO, d'abord installé à Marcinelle puis boulevard Audent à Charleroi) mais en principe il dépend de la SS et c'est la plus redoutée.

C'est relativement compliqué et l'on a souvent parlé en terme général de Gestapo (Police secrète d'Etat), mais c'est une erreur car elle aussi fait partie de la SS.
Il faut aussi joindre à la GHF (elle ne compte que 500 hommes) toute une série d'indicateurs, d'hommes sûrs venant des groupes comme Rex, VNV, de tendance Ordre Nouveau. Ces indicateurs tout au début sont sous le contrôle d'un chef d'agents nommé V-Leuten Führer. Preuves faites, il devient un V-mann, il pourra alors voler de ses propres ailes et recevra son instruction d'un Haupt V-Mann. C'est alors un homme redoutable car rien ne peut l'arrêter, tous les moyens sont bons, ni foi ni lois. Il est immunisé pour tout ce qui concerne la sécurité du Reich.
Partant de la route de Philippeville à Loverval, c'est la GHF le groupe 3, (il va ensuite aller à Lille), puis le groupe 738 qui effectue ce sinistre travail pour la région de Charleroi.

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