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Jules Halleux raconte la courte vie de son père, le maréchal des logis Julien Halleux, assassiné à
Charleroi le 23 décembre 1943.
D'une calligraphie bien soignée comme on avait à l'époque, maman a reproduit le discours prononcé le 23 juin 1945
lors des funérailles officielles de son mari disparu le 23 décembre 1943 à Charleroi. J'y découvre des détails sur la
courte existence de mon père dont je n'ai pas de souvenances.
J'ai un an et demi lors de son décès en 1943, mon frère un mois. Maman n'a jamais beaucoup raconté ; ces choses
faisaient partie des secrets de sa courte vie d'épouse et elle les a gardés jusqu'à sa mort. Cela s'est passé à Charleroi,
région bien éloignée de l'endroit où nous vivions alors.
Mes souvenirs, c'est un long voyage en train partant tôt le matin de Rémersdael à pied soit vers la gare d'Obsinnig
par Visé ou d'Aubel et la ligne 38 vers Liège Guillemins. Les baraquements en tôle ondulée vers Bois-de-Breux, les
jardinets où vivaient des familles bien démunies. La Meuse à traverser, au pas, sur un pont où il n'y avait que les rails
posés sur des traverses suspendues au-dessus du fleuve.
Une longue attente aux Guillemins pour voir arriver le train vers Charleroi Sud. Ce train, parfois bondé de familles
italiennes de noir vêtues et leurs paquets faits de draps noués, montrait au petit rural toute la vie industrielle wallonne
d'alors avec la sidérurgie, les fours a chaux puis Namur, la Sambre et les charbonnages du Pays Noir. C'est vers 17h
que, enfin, le voyage se termine, mais il faut encore prendre le tram pour rejoindre Charleroi Nord ou nous logeons juste
en face d'un charbonnage.
Puis dans les jours suivants, par un sentier contournant un terril, l'on va à pied sur la tombe au cimetière de
Montignies-sur-Sambre. En face, le long de la Sambre, les lueurs de l'aciérie de Hainaut-Sambre et les fumées de
Solvay me rendent ce monde encore plus étrange. Comment mes parents issus des hauteurs d'Aubel tous les deux
sont-ils arrivés là-bas et que j'y sois né de ce fait ?
Cependant cela semble assez logique ; après son école primaire à Aubel et quelques années supplémentaires
effectuées je ne sais plus où, mon père Julien HALLEUX fait son service militaire à Eupen comme Carabinier Cycliste et
rentre à la Gendarmerie en 1939.
Survient mai 1940 où il est mobilisé au 2e Groupe du 1er Régiment Léger de Gendarmerie, blessé à la jambe pendant
les combats sur la Lys par un éclat de shrapnell, il s'évade de l'hôpital à l'arrivée des allemands, rejoint la gendarmerie
et on le retrouve caserné rue Ferrer dans la ville basse à Charleroi.
Il a rencontré entre-temps sa future épouse habitant la même localité. Mais après le décès de son père, c'est la mère de
sa fiancée qui décède ; comme c'est la coutume alors, il faut attendre la fin du deuil pour se marier. Ce qu'ils font le 24
septembre 1941 et emménagent rue François Reconnu à Montignies-sur-Sambre. C'est la que mon frère et moi
sommes nés en 1943 et 1942.
Il est désigné, semble-t-il contre son gré, comme interprète à la Kreiskommandatur de Charleroi car il manie
correctement la langue allemande.
Réflexion : Comment est-ce possible que, ayant échappé à la capture et donc aux camps de prisonniers, l'on puisse,
sans avoir d'ennuis, se remettre au service de l'Etat ? Réponse sur base du livre "La Belgique Occupée de l'an 40 à la
Libération" ; Etienne Verhoeven ; De Boeck Université ,1994 ; pour lire la suite
Mais reprenons le fil du discours : « Il comprend le parti qu'il peut en tirer au bénéfice de la résistance. Il identifie
soigneusement les belges qui viennent en visite à la Kreiskommandatur, s'informe dans les détails des motifs de leur
démarche et traduit à sa façon les doléances qu'ils expriment parfois contre d'autres Belges. Au mépris, des plus grands
dangers, car les Allemands se méfient de tout qui les approche, le Mdls HALLEUX relaye vers ses chefs de la
Gendarmerie et bientôt, de la résistance, les indications précieuses qu'il intercepte. Exposé en 1ère ligne aux
entreprises et systématiques de la propagande ennemie qui se ferait volontiers un collaborateur du gendarme HALLEUX
, notre bon camarade ne fléchit pas un instant, il sait que l'Allemand est l'oppresseur de sa patrie, et lui voue une haine
implacable que chaque jour voit grandir. »
Arrêtons nous un instant
Ma mère nous a précisé qu'elle ignorait la plupart des activités clandestines de mon père. C'est d'après ses dires ce
qui l'a sauvée des poursuites allemandes. Elle a été interrogée à Loverval. Bien qu'elle ait eu connaissance de
quelques affaires, ce qu'elle a nié, ils l'ont heureusement laissé repartir.
L'arrivée de meubles dont l'origine était douteuse (juive), du passage de « camarades » qui logeaient parfois quelques
jours, elle savait quoi répondre à tout cela. Parfois même de la farine ramenée dans un sac à la croix gammée lors
d'une garde la nuit en gare de Charleroi permettait de vivre un peu mieux. Au contraire elle n'a rien su sur d'autres
affaires, la résistance va en gommer les traces dés son arrestation connue et cela même avant l'arrivée des allemands,
notamment la présence d'armes dans la cheminée. Mon père lui avait dit aussi qu'il se sentait menacé et, si cela
continuait, il devrait se cacher. Il pensait à Rémersdael et comptait sur l'aide de ses frères. On l'avait suivi, il avait sauté
du tram avant son arrêt, mais cela semblait passé. Et surtout, ce n'était pas le moment, il y avait cette naissance prévue
Poursuivons la lecture..
Bon et généreux, Julien HALLEUX ne cache pas facilement ses sentiments, il ne peut les dominer le jour où, en 1942,
un incident le met aux prises avec des gardes wallonnes, ces vilains fantoches déguisés en soldats qui se font rosser
d'importance, mais il s'attire les foudres du boche qui, dès ce moment, le fera surveiller.
HALLEUX n'hésite pourtant pas à prêter sa collaboration au service des renseignements du front de l'indépendance où
une occasion de servir lui est offerte.
Sans guide ni directive qui le soutiennent, HALLEUX prodigue ses efforts à tout ce qui est dirigé contre l'ennemi, mais
bientôt, un traitre infâme, un belge félon se glisse dans la trame et surprend les secrets, le réseau de l'ennemi se
resserre, HALLEUX doit être arrêté porteur de documents. Des belges, des bandits au service de la Gestapo sont
chargés de l'opération, c'est le 23 décembre 1943, une nuit opaque règne aux abords de la caserne où HALLEUX est prévenu que son arrestation va se produire, il pourrait se sauver, il n'y pense même pas , il rentre au quartier, s'arme de
son pistolet et va droit vers l'adversaire qui le guette pour l'abattre traitreusement dans le dos, il tombe à 28 ans, victime
de la barbarie allemande. Pourra-t-on jamais comprendre l'abjection de ces traitres belges qui ont, tel Judas, pour
quelques deniers, ou gloriole monstrueuse, vendu les meilleurs d'entre nous à la barbarie Allemande ? Ce sera la honte
aussi des Allemands d'avoir étoffé leur système policier de gestapistes belges recrutés parmi nos repris de justice.
Dors en paix, brave camarade, tes assassins sont connus et nous les châtierons.
Pour maman, ce n'est pas fini, quelques heures après le décès, au milieu de la nuit, grâce à une infirmière membre de
la résistance, elle va pouvoir apercevoir dans l'entrebâillement d'une porte une dernière fois le corps de son époux.
Cela se passe à la morgue de l'hôpital de Charleroi, au nez et à la barbe des allemands. Ceux-ci ne donneront jamais la
moindre information sur sa présence à la morgue ni l'endroit ou il a été transporté ni de ce qu'ils en ont fait. Sur la route
de Gosselies, la résistance perd la trace du camion transportant le corps parti du cimetière de Charleroi et craint
l'incinération à Uccle.
Image vendue par la résistance au profit de ses oeuvres
La voilà seule, se relevant à peine de son accouchement, sans ressources, avec 2 enfants en bas âge à soigner,éloignée de son milieu familial, que faire ? Heureusement dans cette région la solidarité n'était pas un vain mot. Ce sont
d'abord les voisins qui l'ont aidée, les collègues de la gendarmerie et c'est surtout la résistance qui va contribuer
financièrement à sa survie. Sa soeur viendra aussi a son secours en restant quelques semaines à Montignies. Et même
après avoir obtenu l'autorisation du tribunal de rejoindre son père à Remersdael où, veuf, il habite toujours, un peu
d'argent de la résistance arrive encore grâce aux bons soins d'un médecin d'Aubel.
Puis en octobre 1944, les américains découvrent un charnier au lieu dit « la Serra à Jumet », sur les indications d'un
fermier voisin se demandant ce les allemands faisaient pendant la guerre dans ce coin isolé du champ d'aviation de
Gosselies.Parmi les 250 corps inhumés se trouve mon père. Et le 12 juin 1945, l'administration demande à ma mère d'aller
l'identifier à Jumet. On va officiellement le transférer le 23 juin 1945 dans la pelouse d'honneur du cimetière de
Montignies-sur-Sambre où il repose encore.
Les dernières phrases du discours ne font pas de doute sur les intentions et le sort que l'on désire réserver aux auteurs
du fait.
Les mêmes camarades qui aujourd'hui t'entourent te vengeront de tes bourreaux, demain au poteau de l'infamie.
La sinistre équipe MARIVOET, les STRUYF et consorts paieront de leur sale tête le crime de nous avoir abattu notre
brave et généreux camarade, le crime d'avoir fait une jeune veuve et de deux jolis bambins, des petits orphelins qui
n'auront pas connu leur père. Guerre sans pitié aux vils assassins !
Les enquêtes, la reconstitution et les procès font l'objet d'une autre page.
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